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Trouver des solutions écologiques inclusives pour gérer la dette post-pandémique

 

La crise économique a fait ombrage à la pandémie de COVID-19. Alors que les revenus diminuaient et que les gouvernements réagissaient par des programmes de soutien aux ménages et aux entreprises, la dette publique mondiale a atteint des sommets historiques.   

Le Fonds monétaire international (FMI) a indiqué en avril 2021 que la dette publique des économies de marché émergentes avait augmenté, passant de 54,7 % du produit intérieur brut (PIB) en 2019 à 64,4 % du PIB en 2020, et que les niveaux dans les pays à faible revenu avaient bondi, passant de 44,3 % à 49,5 % du PIB au cours de la même période.   

Bien que les économies avancées aient une dette qui atteint en moyenne près de 100 % du PIB, elles peuvent néanmoins la financer grâce à des taux d’intérêt qui n’ont jamais été aussi bas. Les pays en développement risquent toutefois de voir leur cote de crédit diminuer et de se trouver en défaut de paiement, et faire des compromis financiers urgents entre leur système de santé et l’économie, comme le souligne la recherche soutenue par le CRDI réalisée en Afrique par le South African Institute of International Affairs . En novembre 2020, la Zambie est devenue le premier pays africain à ne pas rembourser ses prêts pendant la pandémie.  

Les répercussions en cascade des changements climatiques, de la perte de biodiversité et des inégalités croissantes résultant de la COVID-19 aggravent encore les difficultés économiques dans les pays en développement. Dans l’optique d’une reprise, les prêteurs internationaux et les nations débitrices étudient des moyens d’alléger le fardeau de la dette tout en respectant les engagements mondiaux en matière de changement climatique et les objectifs de développement durable, y compris en matière d’égalité des sexes.    

En 2020, le CRDI s’est associé à l’Institut international pour l’environnement et le développement (IIED) et au Partenariat en politiques économiques afin d’étudier les multiples crises qui sont l’endettement, le climat et les inégalités et de trouver des moyens de les résoudre. Une série d’événements en ligne et d’études récemment publiées font la lumière sur la nature changeante de la dette, les leçons tirées des efforts passés en matière d’allègement de la dette et les incidences sexospécifiques de la pandémie. Ils étudient également la manière dont la dette pourrait être restructurée pour encourager les investissements en empruntant des voies de développement économique plus résilientes et plus inclusives.    

La nouvelle réalité de la dette  

La prémisse selon laquelle est fondé l’article de l’IIED, “Whose debt is it anyway? A sustainable route out of the crisis for low-income countries”, est que toute solution aux crises qui se recoupent doit refléter la manière dont la dette a évolué et est actuellement structurée. Ce n’est qu’à cette condition que l’on pourra s’assurer que les mesures d’allègement de la dette sont ciblées à la bonne échelle et qu’elles impliquent toutes les parties concernées.   

La montée en flèche de la dette publique liée à la pandémie fait suite à une décennie de hausse des niveaux d’endettement dans les pays en développement. Les auteurs de l’article ont expliqué que la plupart de ces crédits proviennent d’institutions financières multilatérales, telles que la Banque mondiale et la Banque africaine de développement, mais qu’il y a eu des changements importants dans les sources de crédit. Par exemple, une part croissante des prêts provient de la Chine. De même, la dette privée gagne en importance pour les pays à revenu intermédiaire, bien qu’elle soit moins courante dans les pays à faible revenu. En Afrique, la part des prêts provenant des pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques, qui composent le « Club de Paris », a diminué de près de moitié depuis 2000, pour atteindre un peu plus d’un quart de la dette extérieure en 2019.   

La nature changeante de la dette signifie que toute solution doit passer par cet ensemble diversifié et croissant de créanciers. Selon la coauteure Stephanie Griffith-Jones, membre émérite de l’Institute of Development Studies et directrice du programme des marchés financiers à l’Initiative for Policy Dialogue, il ne sera pas facile d’amener ces différents partenaires à la table de négociation. « Pour obtenir de l’aide des créanciers privés, il faudra adopter à la fois la formule de la carotte et du bâton », a-t-elle déclaré. L’égalité de traitement sera nécessaire « pour éviter qu’une partie de l’allègement de la dette provenant des créanciers publics soit utilisée pour servir les créanciers privés ».   

Ces nouveaux acteurs apportent également des conditions différentes. Une grande partie de la dette de l’Afrique envers la Chine, par exemple, prend la forme d’infrastructures financées par les ressources; les nouvelles constructions étant payées par les revenus futurs provenant des projets d’exploitation des ressources. Cette forme de remboursement peut rendre la restructuration de la dette très difficile.   

Échanger la dette contre l’action climatique et la conservation 

Les échanges de dettes suscitent un intérêt croissant en tant que moyen de traiter la dette des économies à faible revenu tout en faisant progresser les objectifs de développement durable. Dans le cadre d’un échange dette-climat et nature, un créancier accepte de réduire ou d’annuler une partie de la dette en échange d’investissements dans des mesures de réduction de la pauvreté qui freinent les changements climatiques, augmentent la résilience climatique ou protègent la biodiversité. Les Seychelles, par exemple, ont conclu un échange de dette axé sur la protection du milieu marin – en préservant leurs récifs coralliens, leurs lagunes et leurs mangroves côtières, qui sont essentiels au tourisme et à la pêche.   

Les recherches menées par l’IIED montrent que les pays à revenu faible et intermédiaire sont les moins à même de faire face aux contraintes climatiques, et que leur croissance économique dépend fortement des secteurs exposés aux aléas climatiques tels que l’agriculture, la sylviculture et la pêche. Les petits États insulaires d’Antigua-et-Barbuda, des Tonga et des Îles Salomon, ainsi que la Guyane, sont les plus menacés, tandis que plusieurs autres États ont un niveau élevé de perte potentielle de biodiversité.  

La question des changements climatiques « fait peser sur les pays africains un fardeau encore plus lourd que celui de la COVID-19 », a déclaré Jean-Paul Adam, directeur de la Division de la technologie, des changements climatiques et de la gestion des ressources naturelles à la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique. « En moyenne, nous prévoyons une perte de 2 à 5 % du PIB dans les pays africains d’ici 2030, et cela s’appuie sur des estimations prudentes sur le réchauffement », a déclaré M. Adam lors du webinaire du CRDI et de l’IIED sur la gestion de la dette, du climat et de la nature dans le cadre de la reprise après la pandémie.   

Sejal Patel, chercheuse à l’IIED, a souligné qu’il est essentiel que les solutions à la dette tiennent compte de la vulnérabilité climatique dans les pays à faible revenu : « Si l’on se concentre uniquement sur le fardeau de la dette, les crises naturelles et climatiques pourraient compromettre la reprise et la résilience des économies. »   

Un deuxième article de l’IIED soutenu par le CRDI propose des leçons en matière de mesures d’allègement de la dette à partir de l’initiative d’aide aux pays pauvres très endettés (PPTE), établie il y a 25 ans par la Banque mondiale et le FMI.

Des efforts de gestion de la dette qui soutiennent l’égalité des sexes 

La COVID-19 a particulièrement touché les femmes et elles seront doublement désavantagées si la dette est financée par des compressions des dépenses sociales. Jayati Ghosh, professeure d’économie à l’Université du Massachusetts à Amherst, affirme que tout effort de gestion de la dette post-pandémique doit tenir compte des différences entre les sexes, sous peine de creuser les inégalités existantes et de faire échouer la reprise.  

Lors d’un webinaire organisé en avril 2021 sur le thème Placer l’égalité des sexes au cœur de la reprise après la COVID-19, Mme Ghosh a insisté sur les effets de la pandémie sur les femmes. Par exemple, les femmes ont été beaucoup plus susceptibles de perdre leur emploi ou de subir une baisse de salaire pendant la pandémie, tandis que le travail domestique non rémunéré a considérablement augmenté avec la fermeture des écoles et des garderies.  

Malgré le rôle essentiel qu’elles jouent dans la prise en charge des familles et des communautés pendant la pandémie, les femmes sont les premières victimes de la compression des dépenses sociales, les pays cherchant à réduire leur dette. Entre mars et septembre 2020, Mme Ghosh a constaté que les prêts du FMI consentis à 81 pays impliquaient une compression des dépenses publiques. Ces compressions menacent directement les régimes de soins de santé et de pensions, en imposant des gels et des réductions de salaire aux médecins, aux infirmières, aux enseignants et aux autres travailleurs du secteur public, tout en réduisant les allocations de chômage et les prestations de maladie. Les femmes sont souvent celles qui sont directement touchées par ces compressions et elles doivent combler le vide lorsque les services publics disparaissent. 

« Les anciens programmes d’allègement de la dette ont été effectivement défavorables aux femmes », explique Mme Ghosh, parce qu’ils reposent sur la division du travail entre les sexes, et que le travail non rémunéré et sous-payé des femmes amortira l’austérité budgétaire.  

« Il est évident que c’est mauvais du point de vue de l’équité, du bien-être et de la justice, mais je dirais que [...] cela entraîne une détérioration des conditions matérielles et réduit les chances d’une reprise stable et durable de la crise de la dette », a-t-elle déclaré. 

Informer la collaboration internationale sur les solutions à la dette 

L’idée de lier l’action climatique, le développement inclusif et l’allègement de la dette gagne du terrain; le FMI, la Banque mondiale et d’autres grands prêteurs étudiant activement les options. Si les recherches appuyées par le CRDI font ressortir l’intérêt de relier ces questions, elles soulignent également les leçons à tirer des efforts passés en matière d’allègement de la dette. Parmi les leçons à tirer, citons la nécessité de s’attaquer systématiquement au problème de la dette, en réunissant tous les créanciers autour de la table de négociation et en évitant l’indifférence aux sexospécificités qui causerait un préjudice supplémentaire aux femmes. 

Un allègement lié à des objectifs de développement, qui permet aux pays débiteurs de choisir la meilleure façon d’assurer leur reprise économique et leur résistance aux changements climatiques, aura les meilleures chances de succès. 

Faits saillants

  • La dette des pays en développement atteint de nouveaux sommets, alimentée en partie par la COVID-19. 

  • Les solutions doivent tenir compte de la réalité complexe de la dette extérieure aujourd’hui; les prêteurs privés et la Chine jouant un rôle plus important. 

  • Les efforts d’allègement de la dette doivent être liés à des investissements dans la résilience aux changements climatiques, la préservation de la biodiversité et la réduction des inégalités. 

  • La dette ne devrait pas être financée par des mesures d’austérité qui alourdissent le fardeau des femmes.