Aller au contenu principal

Transformations agricoles

 

Irrigation, produits chimiques et biotechnologies transforment l’agriculture à l’échelle planétaire. Les agriculteurs des pays en développement sont durement touchés, car ces changements affectent leurs moyens de subsistance, leur sécurité alimentaire, leur milieu environnant et leur santé. Les approches écosanté permettent aux chercheurs de comprendre la dynamique complexe entre la santé et les écosystèmes agricoles afin de concevoir des solutions durables plus équitables.

Le défi

Les progrès technologiques et le commerce mondial modifient l’agriculture à l’échelle planétaire. Afin de parvenir à nourrir leurs familles et à gagner leur vie, nombre d’agriculteurs des pays en développement choisissent des solutions à court terme qui dégradent les écosystèmes à long terme. Les terres arables représentent environ 11 % de la superficie de la planète, mais l’usage excessif de pesticides et d’engrais, la contamination par les métaux lourds et l’épuisement des sols en ont mis 2 %, soit 10 millions d’hectares, hors de production.

La mondialisation influence aussi la demande de produits agricoles; la transformation marquée qu’elle entraîne dans les écosystèmes met à risque la santé des agriculteurs et de leurs familles. Dans les tropiques, par exemple, le riz remplace de plus en plus les cultures céréalières traditionnelles. Cependant, les rizières exigent davantage d’eau et favorisent la reproduction des moustiques vecteurs du paludisme. Les approches écosanté abordent ces problèmes en conjuguant amélioration des pratiques agricoles et de la santé humaine et pérennité des écosystèmes agricoles.

Les réalisations

Le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) relève le défi et appuie la recherche et les réseaux d’experts en écosanté afin de concevoir des solutions durables aux répercussions des transformations agricoles sur santé humaine. Les projets d’écosanté permettent de produire des connaissances scientifiques solides, de renforcer les capacités des collectivités et des chercheurs locaux, et d’influencer les politiques en vue de réduire les effets negatifs des transformations agricoles sur les collectivités défavorisées des pays en développement. Des projets au Maroc, en Équateur, au Malawi, au Liban et au Yémen témoignent de telles réalisations.

Produire des connaissances

Dans les pays en développement, des chercheurs appuyés par le CRDI appliquent avec succès les approches écosanté pour produire des connais-sances sur la santé et les transformations agricoles touchant à la gestion de l’eau, à l’usage des pesticides, ainsi qu’à la sécurité et la diversité alimentaires.

L’incidence des petits barrages au Maroc

La région de Souss Massa au centre du Maroc est réputée pour ses fruits et légumes destinés surtout à l’exportation. Toutefois, le manque de pluie chronique dans les régions montagneuses nuit au développement économique et à la santé humaine, car il réduit le rendement de la production et oblige les femmes et les jeunes enfants à parcourir de longues distances pour aller chercher l’eau. Le tarissement des sources d’eau force population et bétail à s’approvisionner aux mêmes endroits, ce qui augmente le risque de contamination. Aussi, pour contrer les sécheresses répétées et conserver l’eau, l’État a construit 21 petits barrages.

Les chercheurs appuyés par le CRDI ont étudié l’incidence du barrage d’Asgherkiss sur la santé humaine et l’écosystème environnant; ils ont fait plusieurs découvertes. Entre autres, l’eau destinée à l’hygiène personnelle est plus abondante, mais elle accroît la présence de moustiques vecteurs du paludisme et attire des animaux sauvages porteurs aussi de maladies comme la grippe aviaire. Par ailleurs, les femmes vivant en aval consacrent moins de temps à la collecte d’eau et davantage au travail dans les champs irrigués et à la fabrication de l’huile d’argan à partir du fruit d’un arbre appelé arganier. Elles augmentent ainsi le revenu des familles.

« Notre tâche consiste maintenant à faire profiter les collectivités des résultats des recherches et du savoir local. Nous devons aussi renforcer la gestion de l’eau partout au Maroc, de sorte à faire face aux changements climatiques et à améliorer les capacités d’adaptation, la santé et le bien-être des collectivités », explique Ait Lhaj Abderrahmane, chef de l’équipe de recherche.

La floriculture en Équateur

L’industrie des fleurs coupées modifie le paysage social, économique et environnemental des municipalités de Cayambe et Pedro Moncayo, dans le nord de l’Équateur. Près de 150 fermes, situées principalement dans les vallées fertiles des basses terres, accueillent de nombreux travailleurs migrants; la population y a doublé en 20 ans. Malgré des salaires légèrement plus élevés que la moyenne, de profondes inégalités sociales subsistent dans la région. À mesure que l’industrie s’oriente vers l’exportation, les nouvelles fermes de pointe font grand usage de pesticides; leurs incidences sur la santé et l’environnement inquiètent les leaders communautaires et les scientifiques.

Des chercheurs en écosanté ont étudié les dynamiques socioéconomique, environnementale et sanitaire de cet écosystème agricole et confirmé que les produits chimiques utilisés en floriculture contaminaient l’eau et nuisaient à la santé des collectivités avoisinantes. Mais outre la pollution, la disponibilité de l’eau pour l’agriculture et la consommation humaine préoccupe grandement les collectivités andines. Or, le projet a démontré que la floriculture exigeait plus d’eau à l’hectare que Quito, capitale de l’Équateur.

Des problèmes de santé ont également été observés par les chercheurs. « Les travailleurs souffrent d’étourdissements et de maux de tête persistants dans une proportion anormalement élevées, affirme Jaime Breilh, le chef d’équipe. Selon des tests neurologiques effectués sur les enfants, la contamination environnementale nuit également à leur développement. »

Sols, aliments et collectivités en santé au Malawi

Au Malawi, la santé des enfants était aussi un élément central de la recherche sur l’écosanté et les transformations agricoles. Dans la région d’Ekwendeni, une équipe de chercheurs interdisciplinaire a impliqué plus de 4 000 familles d’agriculteurs défavorisés dans la recherche de moyens permettant d’améliorer la sécurité alimentaire, la fertilité des sols et la nutrition des enfants. Les agriculteurs ont reçu des semences et de l’information sur l’agriculture, les rapports entre hommes et femmes et la nutrition. Des journées culinaires ont été organisées, ainsi que des foires communautaires et d’autres activités visant à favoriser le savoir local, la discussion et l’adoption d’une variété de légumineuses fixatrices d’azote (telle l’arachide).

De 2003 à 2005, les agriculteurs ont plus que doublé la superficie moyenne de leurs champs consacrés à la culture d’arachides et de cajans, une autre légumineuse fixatrice d’azote. De plus, un nombre croissant enfouissait les résidus pour accroître la fertilité des sols. La vente des produits a même permis à certains d’augmenter légèrement leur revenu.

Mais les changements n’étaient pas restreints à l’agriculture. Les enfants ont eu une meilleure croissance, attribuée à l’alimentation plus saine procurée surtout par l’allaitement exclusif pendant les quatre à six premiers mois. Les connaissances acquises et les actions concrètes ont renforcé l’autonomie des agriculteurs et contribué à la réussite de l’étude.

Renforcer les capacités

Le CRDI s’efforce de renforcer les capacités des chercheurs et des organismes locaux afin de produire des résultats significatifs et de favoriser l’excellence en recherche. Les activités de recherche en écosanté visent aussi à donner aux collectivités les moyens de prendre en main leur santé et leur environnement.

Outiller des agriculteurs du Malawi

Un projet écosanté axé sur les sols, les aliments et la santé des collectivités au Malawi, a permis d’initier des équipes de recherche agricole (ÉRA) à la recherche dans les collectivités. Dirigée par des agriculteurs, une ÉRA est un organisme bénévole réunissant différents groupes sociaux, souvent exclus des processus sociaux, notamment les veuves et les femmes divorcées. Parmi leurs activités, les ÉRA ont notamment organisé des rencontres annuelles pendant lesquelles des centaines d’agriculteurs ont échangé sur l’agriculture et la nutrition. Le leadership des ÉRA confère aux agriculteurs un rôle grandissant dans tous les domaines, de la multiplication et la distribution des semences à la promotion de la nutrition, en passant par la recherche et la planification. Elle exerce ainsi une influence croissante sur le processus décisionnel de l’administration locale.

Exploiter les compétences des femmes du Yémen et du Liban

Au Yémen et au Liban, surtout en régions rurales, le savoir traditionnel et la biodiversité agricole se perdent progressivement. Deux études ont permis d’examiner la faculté des aliments indigènes d’améliorer la santé des collectivités marginalisées et de préserver l’intégrité de l’écosystème.

Au Yémen, les femmes ont échangé sur les variétés végétales, la préparation des aliments et les recettes traditionnelles. Puis, les recettes ont été publiées et distribuées dans toute la région, élargissant ainsi les choix alimentaires et la diversité diététique.

Au Liban, les chercheurs ont mis sur pied des « cuisines santé » dans quatre collectivités. Ils ont encouragé la consommation des plantes sauvages et donné aux femmes des cours d’hygiène et de cuisine traditionnelle. Un des projets de cuisine communautaire a débouché sur la création d’un service de traiteur et 25 femmes ont participé, pour la première fois, au processus décisionnel économique.

Tant au Yémen qu’au Liban, la clé du succès a reposé sur l’autonomisation des femmes.

Pommes de terre et pesticides en Équateur

En Équateur, les petits cultivateurs de pommes de terre utilisaient des pesticides très dangereux. De concert avec des agriculteurs, des organismes non gouvernementaux, des universités, des responsables de la santé publique et des administrations municipales, des chercheurs ont conçu des interventions visant à réduire les risques sanitaires qu’entraîne l’usage des pesticides. Les collectivités ont ainsi pris connaissance des effets des pesticides sur les écosystèmes et la santé humaine et adopté de meilleures pratiques de gestion des cultures pour réduire l’exposition aux pesticides. Formation destinée aux agriculteurs, financement de l’achat d’équipement protecteur, éducation communautaire à la santé et émissions radiophoniques comptaient parmi les activités réalisées.

Plus 2 000 familles ont bénéficié du projet, 250 travailleurs communautaires en santé primaire ont été initiés à l’usage sécuritaire des pesticides et enfin, 100 prestataires de soins de santé ont appris à diagnostiquer et traiter les intoxications aiguës causées par les pesticides. L’ouverture d’une boutique offrant des conseils sur la lutte antiparasitaire et des produits de remplacement (pièges à insectes, pesticides moins toxiques) assure la viabilité du projet, qui a eu d’importantes répercussions sur les politiques. Ces répercussions sont décrites ci-après.

Influer sur les politiques

L’influence sur les politiques permet de trans-former les nouvelles connaissances en changement durable. Les approches écosanté encouragent l’engagement continu des décideurs dans le processus de recherche, ce qui favorise cette transformation.

Mobiliser les décideurs face aux pesticides en Équateur

Les chercheurs se sont efforcés de convaincre les décideurs municipaux de la nécessité de mettre fin à l’utilisation abusive de pesticides. En 2007, l’association des municipalités de l’Équateur a organisé un forum national sur ce thème. Une centaine de représentants municipaux ont discuté de l’intégration d’un programme sanitaire aux règlements locaux sur le développement agricole. Les maires ont demandé instamment au gouvernement central de réformer les lois régissant la vente et l’utilisation de pesticides hautement toxiques.

Et au Maroc

Les données obtenues grâce au projet des petits barrages ont convaincu l’organisme responsable des bassins versants de financer la mise en oeuvre des recommandations visant à améliorer la gestion de l’eau et la santé. Le projet a aidé l’organisme et le conseil régional à relancer l’idée selon laquelle les petits barrages constituent une bonne stratégie d’adaptation à la sécheresse; il garantit également que les collectivités participeront à la planification, la construction et la gestion de tous nouveaux barrages.

L’écosanté et les enjeux futurs

La production agricole mondiale s’accroît d’une manière exponentielle pour combler la demande alimentaire croissante. Les initiatives de recherche et de développement doivent donc impérativement continuer d’appuyer des systèmes de production durables qui favorisent la santé et réduisent la pauvreté. Ces enjeux seront à l’avant-scène des efforts mondiaux pour atténuer l’émission des gaz à effet de serre et s’adapter aux changements climatiques. Les approches écosanté fournissent les cadres et les outils essentiels pour concilier des besoins en apparence contradictoires à l’intérieur d’un écosystème.

Pour en savoir plus

Télécharger le PDF : L’écosanté porte fruit – Transformations agricoles

L’écosanté porte fruit – Pollution de l’environnement

L’écosanté porte fruit – les maladies infectieuses

L’écosanté porte fruit – La santé en milieu urbain