Le salaire minimum n’est pas toujours le meilleur moyen d’accroître le bien-être social
La hausse du salaire minimum a longtemps été considérée, pour la plupart des pays, comme un moyen de protéger les travailleurs pauvres et leur famille. De fait, cette intervention vigoureuse sur le marché du travail est une mesure de protection sociale à laquelle ont recours beaucoup de pays d’Amérique latine. Mais jusqu’à quel point le salaire minimum protège-t‑il vraiment les pauvres ? Il faut se le demander, à l’heure où le débat s’intensifie sur la question de savoir si le salaire minimum contribue à éviter la spirale vers le bas ou s’il fait largement obstacle à la souplesse et à la compétitivité du marché du travail.
Pour éclairer les enjeux, des partenaires de recherche du Centre de recherches pour le développement international, sous la direction de la FUSADES, au Salvador, ont examiné les effets des lois relatives au salaire minimum sur le bien-être des travailleurs et de leur famille au Costa Rica, au Salvador et au Nicaragua. À cette fin, ils ont recueilli des données au fil des ans (de 1998 à 2007) au moyen d’un panel de ménages et de particuliers et ont conçu des méthodes économétriques de pointe grâce auxquelles ils ont évalué l’incidence des modifications apportées au salaire minimum sur l’ensemble des salaires, sur l’emploi, sur la mobilité des travailleurs entre le secteur structuré et le secteur non structuré, ainsi que sur les processus qui mènent à la pauvreté ou qui permettent d’en sortir.
Un outil inadéquat pour réduire la pauvreté
Les résultats de leur projet montrent que l’instauration d’un salaire minimum augmente les salaires de certains travailleurs et que la hausse du salaire minimum peut abaisser le taux de pauvreté. Ils tendent aussi à indiquer, toutefois, que le salaire minimum est un outil grossier et inefficace pour réduire la pauvreté et les inégalités de revenus. Voici quelques-unes des principales constatations.
- Le salaire minimum n’a d’incidence que sur un sous-ensemble de travailleurs, pour la plupart des employés à temps plein de grandes entreprises du secteur structuré, dans les zones urbaines, qui gagnent presque le salaire médian. En clair, le salaire minimum fixé par la loi dans les pays visés par la recherche n’exerce aucune incidence sur le salaire des travailleurs les moins bien rémunérés, et n’a en conséquence que peu d’effet sur les travailleurs vivant dans une extrême pauvreté.
- Toute loi sur le salaire minimum est d’application ardue. Comme on peut s’y attendre, il est difficile de faire en sorte que le salaire minimum soit respecté en Amérique centrale en raison de la capacité restreinte des organismes chargés de l’exécution de la loi, de la structure complexe du système, et parce que de vastes pans de travailleurs ne sont pas protégés par la loi sur le salaire minimum. Il est d’ailleurs à noter que, même dans le secteur privé structuré, un pourcentage important de travailleurs gagne moins que le salaire minimum.
- La hausse du salaire minimum fait du tort aux travailleurs du secteur privé structuré. En effet, une modification du salaire minimum est défavorable au recrutement de nouveaux travailleurs et provoque la perte d’emplois qui offrent habituellement d’autres avantages, tels que la protection de la sécurité sociale. Une hausse du salaire minimum réel de 10 % entraîne une baisse de l’emploi d’environ 1 % au Costa Rica, 3 % au Nicaragua et 10 % au Salvador.
De meilleurs mécanismes d’intervention
On peut certes se constituer rapidement du capital politique en faisant adopter des lois complexes sur le salaire minimum, mais on protégerait plus efficacement les travailleurs en ayant recours aux mesures suivantes.
Simplifier la loi
Un éventail moindre de salaires minimums et la simplification de la loi devraient favoriser le respect du salaire minimum et permettre aux travailleurs comme aux employeurs de contribuer à son application. À cause de la complexité du système actuel, qui est coûteux et exige beaucoup de ressources, tant les travailleurs que les employeurs et les fonctionnaires du ministère du Travail ont du mal à déterminer quel est au juste le salaire minimum qui s’applique à un travailleur donné.
Mettre en oeuvre des programmes à court terme pour soutenir les travailleurs qui perdent leur emploi en raison de la hausse du salaire minimum
Le salaire minimum aidera davantage les travailleurs mal rémunérés et favorisera mieux l’atteinte d’objectifs sociaux si l’on met en place des programmes visant à soutenir les travailleurs mal rémunérés qui perdent leur emploi, soit des programmes d’emploi d’urgence (allocations conditionnelles ou programmes d’emploi garanti pour les pauvres), des régimes d’assurance-emploi, des programmes de placement et des programmes de formation professionnelle.
Mettre en oeuvre des programmes à long terme pour accroître les capacités de gain des travailleurs mal rémunérés
La plupart des travailleurs voient leurs revenus augmenter non pas grâce à la hausse du salaire minimum, mais parce qu’ils ont acquis des capacités et des compétences qui leur permettent d’obtenir un salaire plus élevé. Cela donne à penser que l’on devrait mettre en place des politiques visant à accroître la capacité des travailleurs mal rémunérés de gagner davantage, soit par un meilleur accès aux études ou par une formation spécialement adaptée aux besoins des travailleurs vulnérables. Des transferts conditionnels en espèces pourraient aussi aider les familles pauvres en les incitant à investir dans la santé et l’éducation de leurs enfants. Enfin, on pourrait atteindre les personnes qui ne sont pas visées actuellement par le salaire minimum en adoptant des politiques qui accroissent les compétences en affaires et qui augmentent le crédit disponible pour les travailleurs autonomes et les microentreprises.
Le lecteur trouvera plus de précisions sur les constatations ayant émané de ce projet dans le blogue (en anglais) d’Edgard Rodriguez, administrateur de programme du CRDI.