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La lutte contre la violence sexospécifique en milieu de travail, dans le transport en commun et en ligne

 

Fait partie d’une série d’articles sur les solutions favorables à l’égalité des sexes

Partout dans le monde, des femmes sont exposées à des risques de violence sexospécifique, l’une des manifestations les plus viscérales et ignorées des inégalités entre les sexes.

Dans l’industrie florissante du vêtement en Asie du Sud, les femmes sont victimes de diverses formes de violence au travail. Même si les gouvernements nationaux accueillent les sociétés multinationales qui emploient des femmes, les lois adoptées par ces mêmes gouvernements ne protègent pas les femmes contre l’exploitation sexuelle au travail, d’après Rakhi Sehgal, chercheuse épaulée par le CRDI et militante établie en Inde. Elle cite le gouvernement de son pays comme exemple et souligne qu’il faut le rappeler à l’ordre pour qu’il mette la Sexual Harassment of Women at Workplace Act of 2013 (loi de 2013 sur le harcèlement sexuel des femmes sur le lieu de travail) en application.

De nombreux chercheurs épaulés par le CRDI se penchent sur la violence sexospécifique. Ils utilisent une approche de recherche-action et de défense des droits pour améliorer la santé des femmes, leur accès à la justice et leurs choix économiques. Pour s’attaquer à cette forme de violence, leurs solutions doivent aborder les obstacles structurels qui la perpétuent, notamment les lois, les pratiques et les normes sociales discriminatoires.

Mme Sehgal, qui a fait une présentation lors d’un événement organisé par le CRDI le 8 mars 2019 à Ottawa (Canada), a expliqué que le changement des cultures qui tolèrent le harcèlement constitue un bon point de départ pour créer des milieux de travail plus sûrs. En parlant d’une approche efficace utilisée dans une usine de confection de vêtements, elle a déclaré : « Nous devons offrir des conditions de base pour que les milieux de travail soient sûrs et non hostiles en sanctionnant immédiatement les commentaires, les blagues, les insinuations et les mots à double sens à connotation sexuelle à tous les niveaux (recruteurs, collègues et cadres supérieurs). »

La violence sexospécifique à l’ère du mouvement #MoiAussi

Grâce aux réseaux sociaux, les femmes possédant un privilège relatif et travaillant dans l’industrie mondiale du divertissement ont lancé un mouvement visant à dénoncer la violence et le harcèlement sexuels en utilisant le mot-clic #MoiAussi sur Twitter. Cependant, ce ne sont pas toutes les femmes qui peuvent profiter de cette initiative.

« Les femmes avec qui nous travaillons dans les secteurs industriel et agricole n’ont pas ce genre d’accès », a déclaré Mme Sehgal. « Bon nombre de ces femmes sont issues des régions rurales, et elles sont peu éduquées et extrêmement vulnérables. Elles sont sous-payées et surmenées, on les empêche activement de former des syndicats et lorsqu’elles essaient de porter plainte, leur plainte est généralement considérée comme fausse et elles sont traitées de menteuses. »

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Une photo de Rakhi Sehgal
CRDI/GREG TECKLES

Lorsque les femmes commencent à se percevoir comme des citoyennes et des personnes ayant des droits, cela a vraiment une incidence sur la façon dont elles font face à la violence dans différents lieux.

Rakhi Sehgal, CHERCHEUSE ET MILITANTE DANS LE DOMAINE DU TRAVAIL

Mme Sehgal fait partie d’un consortium de recherche soutenu par le CRDI qui rassemble des données sur le harcèlement et la violence sexospécifique dans les usines de confection de vêtements au Bangladesh, au Cambodge, en Inde et en Indonésie, et qui met à l’essai des approches pour mettre fin à ce harcèlement et à cette violence. Dans ses recommandations, elle appelle les mêmes gouvernements de l’Asie du Sud qui accueillent les sociétés investisseuses à offrir des logements sûrs, des rues bien éclairées et des comités de traitement des plaintes qui fonctionnent afin de contenir la violence sexospécifique.

Les comités locaux de traitement des plaintes opérant à l’extérieur du lieu de travail sont obligatoires en vertu de la législation nationale de l’Inde. « Le gouvernement doit vraiment s’affirmer et accroître la formation de ces comités à l’échelle du district, et veiller à leur bon fonctionnement et à leur surveillance », a indiqué Mme Sehgal.

« Lorsque les femmes commencent à se percevoir comme des citoyennes et des personnes ayant des droits, cela a vraiment une incidence sur la façon dont elles font face à la violence dans différents lieux. Notre recommandation est que les gouvernements locaux collaborent avec l’industrie locale et les organismes communautaires, et qu’ils organisent vraiment des formations pour éduquer les gens sur les lois sur le harcèlement sexuel et les griefs. »

Se rendre à l’école ou au travail en paix

Selon un sondage mené en 2016, les femmes vivant dans un pays en développement qui ont mentionné être victimes de harcèlement ou de violence dans les lieux publics sont beaucoup plus nombreuses que les femmes vivant dans d’autres parties du monde. En Inde, le taux est de 79 %; en Thaïlande, il est de 86 % et au Brésil, 89 % des femmes interrogées ont répondu qu’elles ne se sentaient pas en sécurité et qu’elles avaient peur dans les rues et lorsqu’elles utilisaient les transports en commun.

L’Information Technology University du Punjab et l’Urban Institute de Washington ont créé une application mobile appelée ReCAPP pour mener un sondage auprès des hommes et des femmes du Lahore, au Pakistan, au sujet de leur sentiment de sécurité lorsqu’ils utilisent le vaste système de transport par autobus de la ville.

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Une photo de Ammar Malik
CRDI/GREG TECKLES

 Le dernier kilomètre, soit lorsque vous sortez de chez vous pour vous rendre au transport en commun, constitue le plus important problème dans la sécurité des femmes dans les transports urbains.

Ammar Malik, directeur de research, evidence for policy design, harvard kennedy school of government

L’application ReCAPP est née grâce à un projet de recherche soutenu par le programme Croissance de l’économie et débouchés économiques des femmes, afin de lutter contre les transports dangereux qui constituent un facteur important empêchant les femmes d’aller à l’école ou d’accepter des occasions d’emploi. L’application était la première étape d’une tentative fructueuse d’amener les décideurs du Pakistan à adopter des lois locales qui permettent aux femmes de se plaindre du harcèlement dans les lieux publics.

« Ce que les femmes ont fait dans ces sondages est essentiellement de noter leur sentiment de sécurité dans un lieu public. Elles faisaient des observations du genre “Je suis dans une ruelle sombre et une personne semble me suivre” ou “Il y a ce fournisseur qui se tient sur le côté” », a expliqué Ammar Malik, maintenant directeur de recherche, Evidence for Policy Design, Harvard Kennedy School of Government. M. Malik faisait partie de l’équipe de l’Urban Institute en 2017 lorsque les données recueillies par l’application ReCAPP ont permis aux chercheurs d’établir les facteurs qui ont amené les femmes à faire l’expérience de trajets en transports en commun plus menaçants et perturbants que les hommes.

Parmi les dangers signalés par les femmes au moyen de l’application, il y a l’éclairage insuffisant, les arrêts de bus locaux trop éloignés d’une gare et le fait d’être obligée de faire une grande queue pour prendre un bus, a indiqué M. Malik lors d’une discussion organisée le 8 mars par le CRDI à l’occasion de la Journée internationale de la femme. Il a mentionné que le dernier kilomètre, soit la distance entre la maison et le transport en commun, représente le plus grand problème. Les femmes se sentaient plus vulnérables lorsqu’elles quittaient la sécurité d’un autobus ou d’une gare bien éclairée. En 2018, M. Malik a présenté ces résultats sur une affiche.

Il a souligné que les femmes avaient également proposé des solutions. « Elles ont répondu qu’elles voulaient des patrouilles, que la loi soit appliquée et qu’il y ait une personne pour surveiller les hommes pendant que les femmes s’acquittent de leurs tâches quotidiennes. »

La formation des chauffeurs de transports en commun s’est également imposée comme une mesure politique que les représentants du gouvernement étaient disposés à mettre en oeuvre. « Nos données ont révélé que les chauffeurs pouvaient être des auteurs de violence », a indiqué M. Malik. De plus, le fait de placer des affiches ou des annonces dans les bus a aidé les responsables des transports en commun à informer tous les hommes que les attouchements et le harcèlement verbal sont des crimes.

Cliquer pour un avenir plus sûr pour le féminisme

Pour bon nombre de femmes, la promesse d’un Internet permettant la liberté d’expression n’a pas été tenue parce qu’elles reçoivent des menaces visant à les faire taire.

Joana Varon, directrice fondatrice et stratège des politiques, Coding Rights (Brésil) et troisième experte à participer à l’événement d’Ottawa a déclaré ce qui suit : « Si vous considérez les personnes de certaines classes ou de races, les personnes de genre non binaire ou d’expression de la sexualité non hétérosexuelle, ces personnes sont celles qui sont les plus ciblées en ligne. »

Les femmes hétérosexuelles et les personnes allosexuelles dont le travail est très visible doivent souvent composer avec le pouvoir que l’Internet leur procure et les menaces que cela engendre. Les journalistes, les politiciens, les artistes, les militants et les joueurs figurent parmi les personnes les plus ciblées en matière de propos haineux ou de menaces physiques de violence, a signalé Mme Varon. « Il existe un continuum entre les interactions en ligne et hors ligne, car il est impossible de séparer les conséquences des actions qui se produisent dans les environnements numériques et le monde hors ligne. »

Coding Rights fait partie d’un réseau mondial de recherche soutenu par le CRDI pour protéger la vie privée dans les pays en développement et pour utiliser la technologie pour promouvoir les droits de la personne. « Nous faisons preuve de créativité pour régler les questions délicates et qui nécessitent parfois des processus de guérison déconstruits et le partage d’information. »

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Une photo de Joana Varon
CRDI/GREG TECKLES

Les défis structurels historiques associés à la violence sexospécifique sont transposés en ligne aux environnements numériques.

Joana Varon, directrice fondatrice et stratège des politiques, Coding Rights

Par exemple, Safer Sisters est une série d’images GIF créées par Coding Rights. Chaque boucle offre aux femmes des suggestions pour améliorer la sécurité numérique, notamment des conseils pour stocker et créer des mots de passe, ainsi que pour répondre aux personnes tenant des propos haineux en ligne.

Qu’elle porte sur la technologie, les droits du travail ou la mobilité, la recherche a un rôle important à jouer pour comprendre les expériences réelles de violence sexospécifique et pour mettre à l’essai des initiatives qui incitent les hommes, les femmes et les communautés à changer cette réalité. En fin de compte, le but est de créer un avenir non dominé par les hommes dans lequel le quotidien des femmes est moins compromis par les types de violence et de harcèlement qui sont si omniprésents aujourd’hui.

Rakhi Sehgal, Ammar Malik et Joana Varon étaient des experts invités dans le cycle de conférences « Solutions pour l’égalité sexospécifique ». Ils sont intervenus lors du débat d’experts « Au travail, dans les transports en commun, en ligne : Solutions visant à contrer la violence fondée sur le sexe » organisé le 8 mars 2019 à Ottawa, au Canada. Visionnez l’enregistrement de l’événement sur YouTube. Le cycle de conférences dresse un compte rendu des efforts déployés par le CRDI pour appuyer l’égalité sexospécifique dans le monde en prévision de la conférence internationale Women Deliver 2019, qui se tiendra à Vancouver du 3 au 6 juin 2019.