Le temps des bilans
Les équipes qui mesurent les retombées des différents ateliers de masculinité positive sont à l’œuvre depuis 2019, principalement dans des bidonvilles, où les problèmes associés à la masculinité toxique sont exacerbés. Elles recommuniquent avec les hommes qui ont participé à ces programmes. La collecte de données a dû s’arrêter à un certain moment en raison de la COVID-19, mais pendant ce temps, les chercheurs ont pu amorcer leur analyse et produire des résultats préliminaires.
Ces derniers sont porteurs d’espoir. Après avoir été sensibilisés, des hommes « trouvent par exemple qu’il est important d’avoir une bonne attitude et qu’il est possible que le rôle de pourvoyeur de la famille ne revienne pas uniquement à l’homme, signale Marie-Gloriose Ingabire. Mais il nous reste à évaluer les changements concrets dans les comportements ». Pour y arriver, les chercheurs s’entretiennent aussi avec les femmes, question de voir si elles en ressentent les effets dans leur quotidien. Au final, ils espèrent en tirer des leçons pour bâtir de nouveaux programmes de masculinité positive, plus adaptés aux réalités de chaque pays.
Lloyd Muriuki Wamai, de l’Africa Alliance of YMCAs, recueille également des données sur les power spaces, entre autres celui de Kitwe, en Zambie. Rapidement, il est apparu que les hommes avaient très peu de notions en matière de planification familiale. C’est qu’un certain cercle vicieux s’est installé. Plusieurs femmes tombent enceintes et sont abandonnées par leur partenaire. Ces mères célibataires refusent que leurs filles subissent le même sort et se font un devoir de les accompagner à la clinique pour qu’elles aient accès à une méthode contraceptive. La planification familiale est ainsi devenue une « affaire de femmes ». « Les hommes pensent que tout est décidé d’avance et ils n’ont pas l’habitude d’en discuter, précise-t-il. De plus, la religion, très présente au Rwanda et en Zambie, ne les encourage pas à se renseigner sur ces questions. »
« Nous avons donc eu l’idée de créer un petit jeu vidéo éducatif où les jeunes adultes pourront apprendre des notions de base sur le sujet, poursuit Lloyd Muriuki Wamai. Nous pensons que cette stratégie pourrait être particulièrement efficace pour les amener à prendre leurs responsabilités − et nous comptons en mesurer les retombées. »
Car la masculinité toxique ne sert pas les hommes non plus. « Dans le patriarcat, on attribue uniquement aux hommes des rôles et des qualités qui sont valorisés et estimés dans la société. Même s’ils représentent apparemment une position avantagée pour les hommes, ces privilèges ont privé les hommes de mieux connaître ce que les femmes autour d’eux pensent et proposent ; ils ont été obligés à ne pas manifester leurs sentiments et compétences ; à nier les possibilités de chercher de l’aide et à se montrer toujours forts et capables même s’ils ne se sentent pas ainsi à l’intérieur », peut-on lire dans un livre de formation créé pour le Mali par le Centre d’étude et de coopération internationale, une organisation basée à Montréal.
Créée en 2018, cette formation prône d’ailleurs une approche d’égalité, gagnante pour toutes et tous, où les hommes peuvent prendre soin de leur famille, exprimer leurs sentiments, demander de l’aide et reconnaître leurs faiblesses tout en étant des hommes, mais des hommes meilleurs.
Pour le mieux-être de chacun et chacune, l’homme doit trouver une nouvelle place dans la société et, pour y arriver, il faudra nécessairement agir sur la religion, d’après Marie Fall. « L’Afrique a vécu énormément de drames et la religion, vue comme un refuge, prend davantage de place lorsque les sociétés sont en crise, explique-t-elle. Il y a une très grande ferveur religieuse en Afrique et elle influence énormément les comportements des gens. »
Chimaraoke Izugbara fait le même constat : « Les institutions religieuses jouent un grand rôle dans la société et elles renforcent le rôle traditionnel de l’homme comme chef de famille et pourvoyeur, alors que la femme est perçue comme une subordonnée. Lorsqu’on ajoute ce facteur à la pauvreté et au chômage, on réalise que les possibilités de changer les comportements des hommes sont limitées si l’on n’agit pas ailleurs aussi. »
Marie Fall est d’avis qu’il faut proposer une interprétation des textes religieux moins violente et plus constructive pour revoir les normes sociales. « En ce moment, les religions prescrivent la légitimité − à un degré variable selon la confession, l’ethnie, la culture, l’âge, la classe sociale − de la violence envers les femmes », déplore-t-elle.
La chercheuse souligne aussi l’importance de ne pas tomber dans l’autre extrême : donner tous les pouvoirs aux femmes. « C’est vraiment dans l’égalité entre les hommes et les femmes qu’une société est réellement gagnante. Et bien sûr, pour pouvoir s’y atteler, il faut résoudre les grands conflits qui minent les sociétés africaines, ce qui permettra enfin aux gens de vivre en paix et de gagner leur vie afin d’être en mesure de satisfaire leurs besoins de base et ceux de leur famille. On ne peut pas accomplir de réels progrès si les gens sont toujours en situation de survie. »
Cet article a été publié initialement dans l'édition de septembre 2021 du magazine Québec Science